La Navigation Naturelle est l’art de savoir s’orienter et de lire l’environnement. Si beaucoup d’indices sont visuels, il n’en reste pas moins que prendre conscience de nos 5 sens permet de tirer des déductions parfois surprenantes sur le terrain. La vue, le goût, le toucher, l’odorat et l’ouïe nous permettent ainsi de nous repérer, de nous orienter et de retrouver si nécessaire notre chemin tout en nous reconnectant avec une nature profonde qui sommeille en nous.
Dans une fiction des années 90, l’inspecteur Jim Ellison se voit doter de 5 sens hyper-développés suite à une immersion de plusieurs mois dans la jungle péruvienne. Il se voit ainsi qualifié de « sentinelle » sur la base d’études ethnologiques (imaginaires?) dans le sens où certaines cultures tribales étaient supposées sélectionner les hommes possédant le meilleur potentiel sensoriel pour la surveillance de la communauté.
La sentinelle, un modèle en navigation naturelle ?
I – La vue : sens dominant en Navigation Naturelle
Sens hautement dominant de l’homme moderne, abreuvé d’images à chaque instants via les écrans en tout genre. De nombreuses études mettent en avant une meilleure détection des mouvements chez les pratiquants de jeux vidéos mais d’autres recherches pointent la dégradation notoire de la vision périphérique chez nos congénères. On accuse ainsi les écrans de ne focaliser la vision que sur une zone très étroite, absorbant l’attention de l’individu qui, plasticité cérébrale aidant, néglige désormais toutes les informations provenant des bords de son champ visuel. C’est pourtant cette vision périphérique qui se révèle la plus sensible aux mouvements inattendus dans l’environnement. Au détour d’un chemin, c’est elle qui nous averti qu’une masse informe se déplace et ce n’est que lorsque l’on fixera ledit mouvement qu’on identifiera qui un humain, qui un chevreuil, qui une entité que nous n’attendions pas en pareils lieux. Une capacité vitale pour nos ancêtres traquant à la fois leurs proies et leurs prédateurs.
L’exposition aux lumières artificielles et aux écrans détraque-t-elle la vision ? Force est de constater que la fatigue oculaire gagne toutes les franges de la population et que le nombre de porteur de lunettes est en pleine explosion (dites-vous bien que les lentilles de contact sont, de plus, discrètes). Pourtant, les pays de l’est ont une philosophie bien différente en cas de troubles oculaires. Avant même de faire fonctionner le commerce des opticiens, les orthoptistes verront leur carnet de rendez-vous pleins à craquer. À cela, une raison bien simple et surprenante pour nous : la vision se rééduque.
Presque aveugle depuis ses 16 ans suite à une infection de la cornée, Aldous Huxley, célèbre auteur de l’ouvrage uchronique « Le meilleur des mondes » recouvra en quelques mois une vision suffisante pour se passer de lunettes après avoir appliqué les principes de la méthode Bates. L’écrivain produisit alors « L’art de voir », un ouvrage (désormais un peu daté mais toujours intéressant) détaillant les exercices et la méthode lui ayant permis de retrouver la vue.
Quelques exercices peuvent être faits dès le lever : bâiller volontairement pour lubrifier les yeux ; faire bouger les yeux dans différentes directions (sans bouger la tête) au maximum de leur capacité ; cligner fortement des yeux pendant quelques secondes ; pratiquer le tapping autour des yeux ; chauffer les paumes des mains par friction puis les appliquer sur les globes oculaires ; fixer l’extrémité d’un doigt au point de voir les empreintes digitales (jusqu’à loucher si nécessaire) puis fixer un point très éloigné du paysage ; fermer doucement les paupières et regarder vers le soleil en tournant doucement la tête des deux côtés…
Combien d’entre nous pratiquent ce genre d’exercices au quotidien ? Une bonne partie de la méthode Bates est basée sur la psychologie, pour en apprécier les progrès, il faut donc s’y astreindre et être volontaire. En passant du temps dans la nature, ces drôles d’exercices deviennent naturels, on cherche constamment à accommoder la vision à différents plans de la vision, on s’expose à l’alternance d’ombre et de lumière, les yeux sont ainsi sollicités à leur maximum et non figés sur un écran. Toute la méthode Bates repose sur ce principe : les exercices doivent être réalisés de plus en plus longtemps jusqu’à être pratiqués tout au long de la journée de manière inconsciente. Dites au revoir à vos lunettes.
« L’art de voir » d’Aldous Huxley retrace ainsi les exercices que l’auteur a suivi pour se passer de lunettes alors qu’il était presque aveugle à 16 ans. Bien que daté (1942), il constitue encore une bonne référence dans l’auto-rééducation visuelle.
La vue étant notre sens dominant, il est recommandé, pour travailler sur les autres sensations de pratiquer en fermant les yeux.
II – Le toucher : lire l’environnement du bout des doigts
Quel organe est responsable du sens du toucher ? « Les doigts bien sûr. » c’est probablement ce que répondront les gens peu habitués à se prendre des tartes, des taloches, des calottes… Les plus endurcis sauront que c’est l’ensemble du corps et plus précisément notre peau qui produit les sensations tactiles au sein desquelles on regroupe les notions de pressions et de température. Passez la main au dos de votre iPhone dernier cri est vous n’obtiendrez qu’une vague sensation de planitude peu intéressante mais probablement rehaussée par la présence d’un film gras déposé par des mains sales. Reproduisez l’expérience avec l’écorce d’un chêne et vous en détecterez les principaux segments constituant presque des carreaux puis les plus fines aspérités sur ces derniers. Avec un peu d’exercice, il est possible d’identifier un arbre à la main, en fermant les yeux.
De même, parviendriez-vous à repérer une feuille bien exposée au soleil et une feuille d’ombre rien qu’en la froissant, leurs textures varieront d’une espèce d’arbre à l’autre mais on décèlera un type de feuille plus coriace et sec que l’autre. Et que dire des sensations de température sur un support ? Un côté plus chaud que l’autre traduisant une exposition différentielle à l’astre du jour, indiquant ainsi la direction de plus fort ensoleillement, c’est-à-dire, le Sud. Le vent qui souffle sur notre visage est un autre exemple, pour peu qu’on en connaisse la direction, on pourra aisément déterminer les points cardinaux.
Le toucher est parfois un critère d’identification simple. Certains champignons appelés russules se reconnaissent facilement car le toucher de leurs lames est gras. De l’eau au toucher huileux est signe d’une charge en argiles importante et donc d’une érosion notoire, indice que l’on se trouve dans un bassin versant. Si l’on y trouve en plus une surface d’eau irisée, il s’agit soit d’un dégazage sauvage soit de la décomposition de résineux en amont. Si vous ne savez pas différencier les lamiers et les orties, mettez-y les mains. L’un pique et est urticant, l’autre est plutôt doux au toucher. De même en ce qui concerne la digitale (mortelle) et la consoude (comestible) présentant une certaine similitude au niveau des feuilles : la consoude est hérissé de poils rêches rappelant un paillasson, la digitale est bien trop douce et agréable pour être honnête… Pour pratiquer, rien de plus simple, fermez les yeux et baladez vos mains sur tout ce que vous pouvez trouver dans votre environnement. Prenez conscience des textures, des résistances, des différences de température et d’humidité. Rassurez-vous même si vous mettez la main dans les orties ou les ronces, cela sera une expérience enrichissante.
Les travailleurs manuels déploreront la présence de callosités sur leurs mains, étouffant les sensations tactiles. Notons qu’elles ne disparaissent pas mais sont simplement atténuées de façon plus ou moins marquée ce qui permet d’être plus ferme et plus résistant avec les plantes citées plus haut.
III – L’ouïe
Il est bien difficile en France de trouver des coins parfaitement exempts de bruits humains. Le son d’une autoroute au loin ou d’un avion de tourisme survolant la zone vient bien souvent gâcher notre sérénité. Nous sommes occupés au quotidien à filtrer des milliers d’informations sonores indésirables : le bourdonnement du frigo, le passage des voitures dans la rue, le craquement des escaliers, les bruits de pas autour de nous… Nous en sommes rendus à un tel point d’acceptation du bruit que certains de nos congénères parviennent à s’endormir paisiblement et lourdement au beau milieu de lieux publics tels que les gares, les parcs, les supermarchés. Pourtant, une des capacités de nos aïeuls qui leur a permis de survivre jusqu’ici était de pouvoir se réveiller au moindre bruit suspect.
Enfoncez-vous dans les bois, asseyez-vous contre un arbre et écoutez sans bouger. Au bout de quelques minutes, la nature reprendra ses droits et l’on distinguera des sons inconnus. Les petites bêtes qui creusent, des chutes de branches ou de feuilles, le bois qui craque… On pourra vite identifier, dans certaines régions, des représentants d’Homo sapiens débilicus, sous espèce humaine qui se sent obligé de hurler dans les bois ou d’écouter à plein volume du bruit sortant de leur téléphone portable. Détectables à plusieurs centaines de mètres, ils sont le signe que la civilisation (quoique?) est proche. L’écho est présent partout où il existe des surface de réflexion des sons. Même les arbres y participent. Un écho franc trahit des surfaces franches : falaises, vallées. L’absence total d’écho indique au contraire un environnement dégagé, on arrive alors plutôt en bordure d’océan. L’écho a été un moyen primordial de définir la distance à la côte par temps brumeux ou de nuit, un coup de canon pouvant être tiré.
Lors d’une nuit en forêt, vous serez surpris par le volume sonore du moindre froissement de feuille. La course d’un mulot vous fera penser à celle d’un Saint-Bernard. Une famille de sanglier passant à quelques mètres du camp vous laissera imaginer le passage d’une garnison d’ours de plus de cent kilos chacun. Et que dire des cris animaux ? L’auteur est marqué par l’aboiement d’un chevreuil à trois heures du matin par un animal s’étant posté à quelques mètres de son hamac. Il fut ensuite possible de pister l’animal au bruit qu’il faisait en hurlant et en cavalant pendant plusieurs minutes. De quoi vous offrir une bonne décharge d’adrénaline.
Passez plus de deux jours (en bivouaquant) dans le milieu naturel et les sons seront décuplés à chaque instant. Le retour à la vie moderne n’en sera que plus difficile ; les symptômes ? Autoradio éteint, portable en silencieux et écrans en tout genre éteints pendant un long moment. Quel plaisir !
IV – L’odorat : navigation naturelle au nez
Ces deux sens sont intimement corrélés car basés sur le même principe : des molécules sont dissoutes dans la salive ou du mucus et entrent ainsi en contact avec des neurones spécialisés dans la détection des signaux chimiques. De nos jours, l’homme moderne base ses sensations gustatives plutôt sur le label des emballages que sur une vraie recherche et un apprentissage réel (on en parle des tomates de supermarché et de l’arôme fraise?).
Afin d’éduquer ces sens, il est bon d’éliminer de notre environnement tout ce qui pourrait interférer : tabac, alcool, parfums divers, produits d’hygiène, dentifrice… Juste le temps de faire quelques tests ! Certains sommeliers refusent même les boissons chaudes. Les odeurs prennent souvent un raccourci vers notre inconscient, il faut donc sciemment décider d’y prêter attention et s’attacher à les décrire le plus précisément possible. Essayer d’attacher des mots sur chaque nuance permet de constituer rapidement un catalogue fourni de références et donc, de préciser les sensations. C’est ainsi que l’on se retrouve avec de drôles de références dans les descriptions de vins (arômes de pain grillé ou empyreumarique, de prunes, de sous-bois, etc.). Avec l’habitude, il devient aisé d’identifier des lieux ou des personnes à leur signature olfactive. Certaines stations de métro parisien sont ainsi marquées par une dominante d’oeuf pourri (Châtelet-Les Halles) tandis que d’autres sont étrangement parfumées à la guimauve (ligne 6 autour de Bir-Hakeim). Il en va de même pour notre environnement où il est facile de distinguer le bord de mer à quelques dizaines de kilomètres (humidité et iode dans l’air) ou la proximité d’une route (odeur de pollution, d’asphalte, de caoutchouc chaud). En pleine récolte de champignons, on trouvera facilement les coins où les promeneurs se sont « oubliés » (VOIR LA VIDEO) et on pourra suivre à la trace les fumeurs au beau milieu des bois…
V – Utiliser le goût en navigation naturelle
Il en va de même pour le goût qui peut être éduqué par description. Les secteurs de la langue sont également plus ou moins sensibles à diverses réactions chimiques, se concentrer pour identifier où est décelé l’acide, l’amer, le salé est un bon exercice. Pour cela, il vaut mieux ingérer des aliments tièdes et éviter de charger le plat en épices trop fortes. Et dans la nature ? S’il existe de nombreuses plantes comestibles ayant chacune leurs saveurs particulières (la tige de rumex bien mûr se rapproche de la groseille, la consoude cuite rappelle le poisson doux), on peut également trouver des boussoles gustatives. Les grands navigateurs avait la particularité de goûter l’eau de mer pour en déterminer la salinité. Cet indice les renseignant sur l’océan dans lequel ils se trouvaient et/ou la proximité de la côte (mélange avec les eaux douces des fleuves). La maturité des fruits est accélérée par l’exposition au soleil, ils seront donc plus vite consommables au Sud de l’arbre ; les fruits du prunellier ne sont comestibles qu’après les gelées, s’ils sont encore amers et astringents, c’est que la région n’a pas encore connu de grand froid ; les fleurs d’ajonc ont un goût différent selon l’exposition au soleil : au Nord dominent les arômes de pois alors qu’au Sud (fort ensoleillement), c’est la noix de coco qui l’emporte !
Pourquoi de telles sensations exotiques dans nos narines et nos bouches ? Les odeurs et les goûts sont produits par des molécules chimiques particulières dont la concentration varie d’une source à l’autre. Si l’on vous dit que les bourgeons de ronce présentent un fort goût de beurre, c’est que la plante a produit du diacétyle en quantité suffisante pour être décelé. Les producteurs de Chardonnay misent également sur la production de diacétyle lors de la vinification pour signer leur vin. Prudence cependant, vouloir goûter à tout vous exposerait à certaines déconvenues potentiellement mortelles, utilisez un guide d’identification des plantes comestibles avant de vous lancer dans de curieuses expériences. La navigation naturelle est une discipline ultra-complète, nécessitant la pleine conscience de notre environnement. Abordée comme un moyen de lire l’environnement et de le comprendre, elle constitue une véritable cure sensorielle permettant d’aborder les aspects méditatifs et de pleine conscience qui nous font défaut dans notre société ultra-connectée. La navigation naturelle flirte ainsi avec le Shinrin Yoku, l’art japonais des « bains de nature ». Les effets en sont tellement bénéfiques sur la santé physique et mentale que le Shinrin Yoku constitue une véritable thérapie dans les pays asiatiques, prescrite par les médecins. Et s’il était temps de s’y mettre pour de bon ?
L’art ancestral de la Navigation Naturelle
Si le fait de s’orienter en ne faisant qu’observer l’environnement vous intéresse, je vous dirige vers mon ouvrage « L’art ancestral de la navigation naturelle » (plus de détails, extraits, sur cette page). C’est à l’heure actuelle, le livre que j’ai eu le plus de plaisir à écrire tant cette discipline me paraît élégante et riche.
Découvrir la Navigation Naturelle en vidéo :
Soigner ses yeux, naturellement ? :
Si l’idée d’améliorer votre vision par divers exercices vous tente, gardez à l’esprit que ceux-ci, issus de la méthode Bates, ne font que mimer ce que notre oeil fait naturellement en forêt :
Par exemple : faire le point au plus près sur une plante puis immédiatement accommoder au loin pour identifier le responsable d’un craquement de branche puis revenir à la plante proche.
Ce n’est ici qu’un avis personnel mais, j’ai bien remarqué, que les heures passées devant un écran à écrire sont particulièrement néfastes pour ma vision. Si j’arrive à maintenir une vision correcte, je suis convaincu que c’est parce que je m’astreint à passer au moins une journée en forêt par semaine. Sans mes lunettes. Je n’ai aucune preuve scientifique ni étude sérieuse à vous proposer. Seulement mon ressenti.
Pour terminer, voici un ouvrage que j’ai particulièrement apprécié sur le sujet de l’amélioration de la vision par l’exercice :
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