Comme toute discipline largement diffusée, empreinte de spectaculaire, la « Survie » (et je parle bien là de la « survie » selon l’acception la plus répandue) véhicule des fantasmes qui prennent leur origine dans des simplifications, des approximations ou des incompréhensions. Véhiculées par une littérature dont la vocation est parfois plus marketing que documentaire et des vidéos sur internet à la recherche du buzz, ces idées fausses sont transmises et répétées sans regard critique alors qu’un simple essai de mise en pratique parviendrait à les reléguer au rang de mythes de survie.
Mythe de survie n°1 – En forêt, la mousse NE pousse PAS au Nord des arbres.
Cette notion que nous avons tous retenue de notre enfance est ancrée dans l’imaginaire collectif mais il suffit d’une simple sortie en forêt pour admettre que, perdu au beau milieu des bois, la mousse pousse vraiment comme ça lui chante.
Déjà, assurons-nous de savoir reconnaître « la mousse » qui fait référence à une catégorie de végétaux connue sous le nom de Bryophytes. Elles ne sont pourtant pas les seules à coloniser les troncs d’arbres et à leur donner un aspect verdâtre. Les lichens peuvent ainsi se développer de façon ramifiée et touffue ce qui peut faire penser à de la mousse, certaines algues vont former un revêtement vert à la surface des arbres au même titre que certaines épiphytes sous des climats sub-tropicaux. Soyons déjà sûr d’identifier les mousses à proprement parler.
Pourquoi cette idée fausse est-elle aussi répandue ? Parce qu’il y a un peu de vrai là-dessous. Les Bryophytes sont des végétaux avides d’humidité, en se desséchant, elles perdent leur couleur verte et dépérissent. Les rayons solaires leur sont donc défavorables et à n’en pas douter, elles souffrent d’une exposition directe. Ainsi, sur un support isolé tel qu’un arbre au beau milieu d’un champ, la mousse privilégiera la face Nord dudit support pour se développer. Attention, un facteur apportant ou retenant l’humidité peut très vite influencer cette implantation : flaque d’eau, ruisseau, relief, exposition aux vents, inclinaison de l’arbre ou rugosité de l’écorce… Ajoutez à cela qu’en forêt, le ciel est souvent obstrué par la canopée, l’ombrage provoqué par les arbres alentours viendra encore une fois faire perdre la tête à cette (délicate) boussole naturelle qu’est la mousse.
Néanmoins, c’est un mythe de survie et un indice de Navigation Naturelle que je trouve des plus élégants ne serait-ce que par son implantation dans nos connaissances communes, il faut juste apprendre à l’apprécier et à l’interpréter de façon pragmatique et raisonnée.
Mythe de survie n°2 – On NE peut PAS allumer un feu avec deux silex.
Nombreux sont les manuels d’histoire-géo ou les livres traitant de nos ancêtres préhistoriques qui accordent quelques illustrations à la maîtrise du feu, véritable révolution qui a mené le genre Homo à la situation qu’il connaît actuellement. Sur ces iconographies, on peut voir un pré-humain aux traits plutôt simiesques entrechoquer deux cailloux similaires pour faire surgir les flammes du néant. Si les mythes de survie sont aussi relayés dans la littérature scientifique, où va-t-on ma bonne dame ?
Il est malheureux de constater que, même dans des ouvrages universitaires de qualité, ce genre d’image simpliste ait pu subsister.
Pour allumer un feu par percussion, il n’y a d’autres moyens que d’utiliser a minima un minerai ferreux. Cette méthode a donc fait appel initialement à des nodules de marcassite et/ou de pyrite qui ont été choqués à l’aide d’un percuteur en silex (ou d’un autre nodule de minerai). Il en résulte une étincelle suffisamment chaude pour initier la combustion de l’amadou, substance duveteuse extraite du champignon amadouvier.
On notera également que sur les mêmes illustrations, outre le fait que l’homme préhistorique frappe deux pierres similaires ensembles, il projette un volume d’étincelles bien trop important sur des initiateurs de feu comme de la paille qui ne pourraient jamais s’enflammer de la sorte.
Mythe de survie n°3 – Le test universel de comestibilité EST APPROXIMATIF.
Face aux plantes et champignons inconnus, il y a un proverbe : « Si tu as un doute, trace ta route. » . On évite ainsi une déconvenue malheureuse en ingérant des substances potentiellement toxiques voir mortelles. Nombre d’ouvrages de survie préconisent cependant de s’en remettre à un protocole de test afin d’identifier les plantes comestibles.
Il faudrait commencer par écarter les plantes possédant des couleurs vives telles que le rouge (exit les groseilles et les mûres) et celles qui sécrètent un latex (on oublie alors le pissenlit). On prélèverait une partie de la plante et on l’appliquerait au creux du coude, si une réaction inflammatoire se fait sentir, il faudrait rejeter l’échantillon. Dans ce cas, on mettrait de côté l’ortie qui est l’une des plantes les plus nourrissantes de nos contrées.
Le test continue avec l’application d’un échantillon contre les muqueuses buccales puis l’ingestion en toutes petites quantités.
Plutôt que de s’en remettre à des méthodes longues à mettre en œuvre et difficiles à suivre dans le temps, mieux vaut faire appel à la connaissance locale, en particulier à l’étranger. Le manioc présente une potentielle toxicité qui est éliminée lors d’une préparation précise. Les pommes de terre que nous connaissons bien sont des tubercules parfaitement comestibles alors que les fruits (ressemblant à des tomates) sont toxiques. Bref, la toxicité d’une plante ou d’un champignon peut évoluer avec les parties concernées, son cycle de développement, sa méthode de préparation et même l’accompagnement ! Certaines substances toxiques sont ainsi solubles uniquement dans l’alcool ce qui explique qu’il ne faut pas consommer de vin lorsque l’on déguste des coprins noir d’encre !
Mythe de survie n°4 – Le feu par friction : bois dur sur bois tendre ? MON C** !
Le feu déchaîne les passions, c’est probablement pour cela qu’un certain nombre de mythes l’entoure, le tout relayé par des personnes n’ayant jamais mis les mains dans le cambouis ! Au rang des conceptions erronées, le feu par friction (feu obtenu en frottant des bouts de bois) tient la palme d’or.
On entend souvent dire et l’on peut également souvent lire que pour faire du feu en frottant deux morceaux de bois, il faut sélectionner un bois tendre pour la planchette et un bois dur pour le foret. Le bois dur s’userait ainsi moins vite et userait plus facilement le bois tendre en générant de la sciure et de la chaleur.
Cette conception n’est pas forcément erronée mais il faut plutôt considérer la densité des bois. Effectivement, on peut obtenir de très bons résultats avec une planchette en lierre (bois peu dense) et des drilles en sureau ou noisetier (bois plus dense). Il est d’expérience très difficile d’obtenir un feu à l’aide d’un bois très dense en guise de planchette (hêtre, charme ou chêne) mais c’est virtuellement possible. La densité du bois n’influence en fait que l’effort qu’il faudra générer pour parvenir à amorcer une combustion et c’est ainsi qu’il est parfaitement possible d’obtenir un feu à partir d’une seule et même essence utilisée comme planchette et comme foret (résultats concluants avec bouleau, noisetier, érable, sapin…).
Ajoutons également un petit détail, le feu par friction ne produira jamais une flamme immédiatement ni, comme on le voit dans la littérature, une étincelle. La sciure générée par la friction va s’accumuler et emmagasiner la chaleur pour entrer en combustion sous forme d’une braise. Il faudra ensuite transformer cette dernière en véritables flammes à l’aide d’un nid fibreux.
Mythe de survie n°5 – La méthode du bâton pour s’orienter EST IMPRÉCISE.
« Pour retrouver les directions, plantez un bâton dans le sol et notez la position de la première ombre. Attendez 15 minutes et notez la position de la deuxième ombre. Mettez le pied gauche sur la première ombre, le pied droit sur la seconde ombre, vous faites face au Nord. »
Méthode d’orientation tellement célèbre qu’elle est reprise dans le fameux « SAS survival handbook » de John Wiseman. Pourtant, avec une simple mise en pratique, vous constaterez qu’il vous sera impossible de retrouver précisément le Nord de cette façon.
Première raison : la course du Soleil n’est pas une ligne droite dans le ciel mais une courbe, une parabole. L’ombre projetée répond également à ce schéma.
Tout dépendra donc du moment où vous commencez votre expérience, le matin au lever du Soleil ? Votre résultat sera largement décalé vers l’Ouest. En plein milieu de journée, vous aurez une chance d’obtenir une approximation plus acceptable ; quoique…
Autre approximation, en attendant seulement 15 minutes, vous n’obtiendrez un déplacement de l’ombre que minime (cela dépendra également de la longueur du bâton et de l’heure de la journée), en général insuffisant pour pouvoir déterminer une quelconque direction.
Enfin, êtes-vous sûr d’avoir planté votre bâton bien à la verticale ? Le sol est-il bien horizontal et régulier ? Cela peut également influencer grandement vos résultats. Profitez d’une journée sur la plage pour marquer avec de petits cailloux le trajet de l’ombre d’un parasol fermé ou du manche d’une petite pelle. C’est par l’expérience que vous vous ferez la meilleure idée de cette méthode.
Pour en savoir plus sur la Navigation Naturelle et sur la façon d’utiliser au mieux le Soleil (et donc ces fameux bâtons !), je vous recommande de jeter un œil à mon ouvrage : L’art ancestral de la Navigation Naturelle : s’orienter sans boussole ni GPS.
Mythe de survie n°6 – Les stages de « Survie », un ABUS DE LANGAGE.
Excusez le côté Baudelairien, mais si l’on s’attache au sens des mots, on pourrait bien vite déchanter face à nos espérances.
Avez-vous déjà assisté à un stage de Survie ? Il se peut que vous ayez appris à allumer un feu, à identifier quelques plantes utiles, à construire un abri pour passer la nuit dans les bois. Quelle déception ! Vous voilà à ne faire « que » du Bushcraft !
Vous ne vous êtes pas empalé sur une branche d’arbre ? Vous n’avez pas été pris en otage par des terroristes ? Un grizzli est-il venu visiter votre campement ? Avez-vous senti une épée de Damoclès au-dessus de votre tête ou pensiez-vous que votre vie ne tenait plus qu’à un fil ?
Non ? Alors pourquoi parler de Survie ? La survie est une situation que personne ne souhaiterais expérimenter. Cependant, il est vrai, on peut s’y préparer avec l’acquisition de connaissances et de savoir-faire qui pourront jouer un rôle crucial si jamais…
Suivant la formule choisie, vous pourriez être amené à vous dépasser dans le cadre d’un bootcamp, vous pourriez être largué au beau milieu des Alpes avec un matériel minimal pour rejoindre votre groupe, on pourra vous embarquer sur une île avec un rien d’autre que vos vêtements… Repousser ses limites engendre un sentiment de fierté non négligeable mais cela doit se faire dans un cadre contrôlé où la moindre erreur ne sera pas fatale.
Pour cette raison, nous n’animons désormais que des stages de Bushcraft. Certes, nous présentons des techniques, des savoirs, des ressources et des activités qui peuvent être transposées dans une situation de « Survie » mais, par honnêteté intellectuelle, n’ayant jamais été rescapé d’un quelconque événement désastreux, nous nous refusons à aborder cette notion anxiogène qu’est la mort imminente. Nous ne nous sentons tout simplement pas qualifié pour enseigner comment « prolonger la vie » selon la formule consacrée par un professionnel de la question.
Bref, nous vivons dans une société du spectaculaire, du buzz, du like, où il faut montrer que notre vie est mille fois plus riche que celle du voisin (spéciale dédicace aux « influenceuses insta« ). Le terme Survie revient en boucle (même chez votre serviteur) pour son côté attractif mais il doit être l’occasion d’apporter de façon pédagogique un bémol notable : jamais au cour d’un stage on ne devrait se retrouver en réelle difficulté. Ou alors, c’est que vous avez bien mal choisi votre hôte !
Voici donc quelques réflexions (toutes personnelles) sur la « Survie » et les connaissances ou techniques associées que l’on peut retrouver un peu partout sur internet, ou dans les livres. Malheureusement, prendre pour argent comptant ce qui nous est présenté par des auteurs, aussi renommés soient-ils (et je m’inclus pleinement dans cette remarque), et oublier de faire preuve d’un peu d’esprit critique pourrait un jour nous mener à l’erreur et, sait-on jamais, nous mettre en réelle difficulté le jour où nous aurions eu le plus besoin desdites techniques.
Ces mythes de survie pourraient-ils nous desservir ? À force d’être gavé d’articles rédigés à la va-vite bien au chaud derrière un écran, à force d’ingurgiter des heures de télévision ne cherchant qu’à séduire nos bas-instincts (primaires), à force d’agréer à tout ce que vous raconter un Youtubeur…
Imaginez-vous à vous épuiser à percuter deux silex ensemble sous la neige, espérant allumer un feu pour vous réchauffer. Figurez-vous rejetant des plantes parfaitement comestibles malgré vos connaissances juste à cause de leur couleur. Pour le coup, vous tomberiez immédiatement dans la véritable « Survie », situation qui aurait pu être évitée en amont par l’entraînement, ou plutôt, par la mise en branle d’un esprit critique et par l’expérience personnelle durement acquise avec la pratique.