Avec son équipe de joyeux forbans, leurs couteaux et leur bonne humeur, le capitaine Fred Perrin a jeté l’ancre, samedi 14 septembre 2019 à Paris. L’équipage y aura présenté ses réalisations : des lames, des objets qui coupent, qui tranchent ou qui piquent mais bien plus encore…
C’est une porte vitrée massive, cerclée d’un métal peint en noir, coincée entre une pharmacie et une banque. Le genre de porte devant laquelle on passe sans s’arrêter. Pourtant, on note de nombreuses allées et venues. Elle est verrouillée par un digicode qu’un homme aimable, stationné sur un banc public à quelques pas de là, vous dévoile lorsque vous essayez de franchir le seuil du 255 avenue Dausmesnil. Vous pénétrez alors, en sous-sol dans le dojo Shobukan où se tient la fameuse petite réunion des flibustiers.
Le parquet et les boiseries de l’univers japonisant accueillent en craquant sous les pieds déchaussés une foule de badauds et de passionnés venus en nombre dans ce cloître chaleureux. Vous tombez alors immédiatement sur Paulo Simoes, le forgeron d’origine Portugaise installé désormais en Finistère.
Paulo Simoes et ses couteaux inspirés
On ne le présente plus ! Paulo (dont vous pouvez lire et visionner une interview ici ou découvrir le site par-là) expose ses lames, issues du travail de la forge : couteaux et hachettes s’entassent sur la tablette recouverte d’une nappe bleue nuit.
On y remarquera en particulier un couteau, surnommé L’Insolent, qui se montre ici très discret (plus d’infos très bientôt !) et de petits pliants inspirés par les Higonokami, ces petits couteaux destinés à la taille des crayons dans les trousses des écoliers japonais.
Philippe Gayant : venu du Nord
Les tréteaux adjacents portent des couteaux de toutes les couleurs, en rangs serrés et gare à ceux qui osent se désaxer ! Philippe vient des Hauts-de-France « comme on dit maintenant » ajoute-t-il.
Ce picard ironise sur les noms car nombre de ses réalisations resteront anonymes : « Lui, il s’appelle Mini-Chopper et lui, son petit nom, c’est Impact-tool » explique Philippe. « Il faut de l’imagination, pas vrai ? ».
Certains de ses couteaux, de taille réduite et appelés « Le Vif » trônent sur le bord de la table. On lui connait également « L’inséparable » ou « Le Big baby« .
Les couteaux de Philippe Gayant sont tous forgés en acier D2 et les manches sont généralement en Micarta ou G10, parfois en os coloré comme ce petit couteau au manche rose des plus chatoyants que vous aviez remarqué en entrant.
Kesakouro par Aurélien Frayssinhes
Se fondant dans le décor du dojo Shobukan, une table accolée à un poteau de bois présente des armes japonaises d’une beauté sans égal pour certaines ou accusant le poids des années pour d’autres.
Devant Aurélien, vous pouvez admirer un véritable katana restauré fidèlement. Entre les tridents « Saï » criant leur vécu, on remarque un petit piédestal.
Une sorte de mini-katana courbé y est présenté dans ses habits de coton rouge. Au-delà du sabre de Playmobil, il s’agit ici d’un vrai travail d’orfèvre, une lame miniature forgée, formée et habillée par Kesakouro.
Présence d’un chercheur : Gérard Lecoeur
C’est un stand où s’entassent quelques livres sur des sujets variés : « Le feu : une arme terrifiante », « Sarbacanes : d’hier et d’aujourd’hui », « La lutte du bout des doigts »… Une autre de ses publications, « Le guide pratique du casse-doigt », m’a été vantée par mon ami Philippe Choisy et est détaillée sur le blog PROTEGOR dans cet article.
Gérard Lecoeur est un véritable chercheur, auteur prolifique de plus d’une quinzaine d’ouvrages, il restera très discret sur son passé militaire. En revanche, amorcez la conversation sur les armes « froides » et vous avez toutes les chances de faire la fermeture de l’exposition à parler de couteaux Scramasaxe ou du fameux Tanto sur lesquel Monsieur Lecoeur a écrit longuement.
De l’autre côté du stand, vous pouvez découvrir les « flying stilettos », des couteaux de lancer à 4 pointes adoptant le profil de l’avion Douglas X-3 Stiletto. Brevetés et polyvalents, une fiche ornée de schémas indique qu’ils savent (presque) tout faire.
Du kydex à toutes les sauces avec Nikaia sheaths
Parmi les reflets d’argent, d’acier et de chrome sous les boiseries de couleur ambrée, une table ornée de couleurs vives accueille les créations de Nikaia Sheaths, spécialiste du kydex.
Manu présente un nuancier volumineux composé de plusieurs dizaines de petits carrés de cette matière plastique reliés par un câble métallique :
« Et encore, je n’ai pas toutes les couleurs ici. »
Manu ajoute : « Ce qui est confortable pour les clients, c’est de savoir que j’ai plus de 130 modèles d’armes de poing, plus de 200 couteaux. C’est important car, comme ça, ils savent qu’ils n’ont pas à m’envoyer leur objet avant confection, sauf dans des cas particuliers. »
Un mannequin trône dans un coin de la table, arborant un T-shirt représentant les organes du torse sous un semblant de porte-plaque balistique :
« Anti-coupure et anti-perforation. explique Manu. Ce sont des plaques de kydex que je fabrique, ça pèse 200 grammes et tu peux le porter sous une veste incognito. »
Si vous le lui demandez gentiment, Manu pourra même céder à vos caprices et confectionner les plaques dans l’une des 120 couleurs de kydex dont il dispose.
D’acier et de perles : les créations d’Elsa Fantino
Au détour d’un salon éminemment masculin, accolé bien évidemment à Fred Perrin Concept, de jolies breloques d’acier aux formes contournées et colorées trônent fièrement sur un stand dédié aux créations d’Elsa.
L’associée à Fred Perrin propose toujours des trucs qui coupent et qui piquent, des armes de défense issues de la forge ou de la coutellerie mais on remarque une touche colorée bienvenue. Du tissu, du verre, du cuir, des perles et tout un tas de petites breloques attachantes qui tranchent avec l’aspect brut de forge et l’acier carbone régnant en maître sur l’expo. Présence féminine non négligeable du salon, on retrouvera sur son stand des colliers, des broches à cheveux et des bagues métalliques avec des looks torturés et circonvolus.
Un présentoir à bagues attire mon attention. Comme la couverture d’un livre. Un livre qui m’a tellement fait marrer cet été que j’en pleurais en prenant l’avion sous le regard interloqué des hôtesses et de mes voisins. J’ai (encore) fait honte à ma femme. L’ouvrage : Allez tous vous faire foutre de Aiden Truhen présente, sur sa couverture française, un magnifique doigt d’honneur couronné d’une bague tête de mort. Quand j’serai grand, j’aurai la même. Et je sais vers qui me tourner.
Nico La Bidouille : non à la poussière et à la rouille
Il faudra chiner. Dans des boîtes de bois rustiques et patinées, sont entreposés des dizaines d’objets disparates. Leur point commun ? Ils coupent, ils piquent, ils tranchent… N’est-ce pas un Balisong philippin qui traîne là-dedans ? Nico vous donnera ses prix à la tête du client et proposera forcément une petite ristourne pour être sûr que ces vieux bouts de ferraille retapés trouvent un nouveau toit. Voyez-y une sorte de SPA pour les couteaux.
Vous pouvez aussi aller farfouiller dans le casier portant un écriteau « 5 balles » pour dénicher des couteaux suisses réaffutés, des couteaux de cuisine de seconde, troisième ou énième main, des coupes-choux et autres pièces à adopter.
Fred Perrin concept : le capitaine fracasse !
Arrivé(e)s au pont supérieur, vous voilà devant le capitaine de l’équipe. Avec sa haute stature, sa crinière argentée et sa casquette, Fred Perrin discute avec le tout venant en exposant ses créations. La pléthore d’objets présents allant de la célèbre « griffe » jusqu’aux bracelets en titane évoquant des motifs celtiques.
Au rayon des nouveautés, une édition limitée à 600 exemplaires d’un couteau de lancer. « Il s’appelle Le Lancer. » explique Fred avec tout son sérieux. « Parce que le mec qui l’a fait a pris le temps de la réflexion. »
Tout à côté un Tanto-Pocket qui correspond « à un Tanto mais plus pointu et plus petit, tu vois. »
Ou encore le Baby-practical-Bowie, « parce qu’il faut bien leur trouver des noms parfois. »
Et enfin, une version robuste de couteau à fruits surnommée… Fruit-Knife.
Fred dit : « Le couteau à fruits parce que si je m’appelais Ed Calderon. Et que je luttais contre le crime organisé ou le traffic de stupéfiants au niveau de la frontière Mexicaine… J’aimerais bien pouvoir me procurer une lame dès mon arrivée de l’aéroport sans avoir à payer trop cher. »
Fred manipule un couteau à fruit Victorinox, en prise pic à glace, quelques mouvements très vifs. Ce couteau dont la lame couleur acier se plie aisément contre la table d’exposition :
« Seulement, moi, si je dois faire un couteau à fruit pour la bagarre ou pour… Les fruits… Je ne me vois pas forger une lame au-travers de laquelle je peux voir le jour. »
Et sur le stand d’exposition, vous pouvez voir ses autres créations. Des lames acérées et brillantes, certaines ornées de baques pour accueillir les doigts. Un trait d’humour fuse lorsque vous vous intéressez à la pièce « maîtresse » de l’exposition. Cette dague à la lame cuivrée et au manche travaillé attire l’œil et l’attention :
Fred dit : « Je l’appelle entre Orient et Occident. »
« Acier XC90 pour la lame, garde en acier XC55 » nous expliquera ensuite Fred Perrin. « Pour le reste, c’est ficelle de coton tressée sur peau de raie, sur du galuchat. »
Une ficelle de coton sur de la raie ? On se croirait à Copacabana, en plein Paris. Et vous repensez au couteau à fruits.
Et vous vous demandez… Quand Fred parle de « fruits », quand il slash l’air avec des gestes précis, quand il tranche une cible imaginaire à hauteur de taille… Le mot « fruits » n’est-il pas une métaphore pour certains organes de l’anatomie masculine ?
Réunion des fanatiques anonymes
Amoureux des belles lames, curieux du métal, fanatique de babioles, le profil des visiteurs est on ne peut plus varié. Du coup, n’oubliez pas d’aller boire un verre de Bourgogne aligoté ou une bière près du buffet. Ça tisse des liens. Un verre à la main, vous allez forcément vous faire aborder par des amateurs éclairés et du beau monde.
Déjà, en entrant, juste après vous être déchaussé(e), vous aviez pu croiser Mister L’expérience en pleine exploration des outils forgés.
Vous rencontrerez peut-être ce retraité du sénat qui occupe désormais son temps à récolter du bois en douce dans les parcs du Marais. Du buis, du platane, du bouleau mais aussi des bambous… Il en confectionne des manches de hachette, des fourreaux qu’il orne de nacre d’ormeaux de Nouvelle-Zélande :
« Je fais ça devant la télé, explique-t-il, je me mets un reportage, généralement ARTE et je fous de la poussière partout. »
Ce qu’il a toujours aimé ? Les armes de jet, lancer des trucs.
« Avec du bambou, j’avais fabriqué une flèche polynésienne. Du genre de celles qu’on propulse grâce à une ficelle enroulée à l’arrière. » Mais désormais, l’homme confesse qu’il retape une vieille hachette, il lui confectionne un nouveau manche à partir d’une branche de buis courbée. « Je l’ai déjà plantée dans un platane. dit-il. Elle se plante très bien. »
Pendant ce temps, Gérard Lecoeur discute des couteaux du moyen-âge avec le camarade qui vous a accompagné. Ils abordent les couteaux pour les sacrifices humains, les égorgements et vous ne captez qu’une bribe de conversation dans le brouhaha ambiant : « … en réalité, ce n’était qu’un couteau de cuisine pour la vie de tous les jours avec lequel les gens mangeaient. »
« Vous savez, ajoute le retraité, il y a deux façons de lancer la hachette. Soit vous la tenez par le manche avec le tranchant en arrière, soit vous la tenez par la tête avec le manche pointé vers le haut. C’est tout une technique. »
Et voilà Guillaume Morel (dont vous pouvez visiter le site PROTEGOR.NET ou écouter l’interview en cliquant ici) qui vous surprend par derrière. Il vous offrira, sous vos yeux ébahis, une démonstration de couteau papillon dont il est spécialiste. Guillaume arbore un T-shirt à l’effigie de Bruce Lee. Bruce Lee pointe une arme à feu sur vous évoquant ainsi le « Gun Fu », ce lien naturel qui s’établit entre la rigueur des arts martiaux et la discipline liée au tir par armes à feu.
Pendant ce temps, le camarade qui vous accompagnait a disparu. Remonté à la surface, dans la rue, pour faire fonctionner la machine à carte-bleue de Paulo. On ne capte pas la 4G dans le dojo situé en sous-sol…
Et le retraité de finir par admirer L’Insolent de Paulo Simoes, ce couteau qui se métamorphose en lance-pierre ou lance-flèche en un clin d’oeil :
« Vous savez, quand j’étais gosse j’avais fabriqué un lance-pierre avec une fourche de noisetier… »
L’inconnu ricane : « J’ai assommé un copain avec une pomme ! Assommé ! »
Et vous finissez votre verre de vin, résigné à quitter les lieux pour mieux y revenir l’année prochaine.
Pour vous y rendre
L’expo du Cap’tain Fred Perrin se tient chaque année au dojo Shobukan, 255 avenue Daumesnil, Paris 12ème. Descendre à la station Michel Bizot (ligne 8) puis se diriger sur l’avenue vers le Sud-Est (se fier à l’écorce des platanes).