Les boutiques outdoor débordent désormais de matériel en tout genre. Pour certains, trouver un couteau de bushcraft idéal ressemble à la quête du Graal. Entre les couteaux bon marchés et efficaces comme les Mora, les outils industriels aux prix délirants, les lames sorties des ateliers de coutelleries et des forges, il y a de quoi en perdre son latin. Après de nombreuses années à manier les couteaux, j’ai choisi de forger mon propre couteau au détour d’un stage chez Paulo Simoes. Après une mise à l’épreuve d’un an, ce même outil va entrer en production et être accessible à tous les passionnés.
Autant poser d’emblée notre vision : Paulo et moi-même n’avons pas la prétention de proposer LE couteau de bushcraft. Loin de nous l’idée de prétendre avoir développé le meilleur outil de terrain du monde. Nous proposons juste notre vision de la chose, vision parfaitement personnalisable par l’utilisateur final.
De plus, nous insistons sur le fait qu’un couteau doit rester un outil. Pour débuter, nous orientons toujours les néophytes vers les couteaux industriels de la marque Morakniv (je recommande en particulier le modèle Companion). Ce sont des couteaux robustes et peu onéreux. Avec l’expérience viendra éventuellement l’envie ou le besoin de s’équiper d’un outil plus qualitatif et il sera temps de se tourner vers les artisans.
Nota Bene : La plupart des illustrations présentées dans cet article ont été réalisées avec les prototypes du Naturaliste. Le produit final peut différer légèrement suite aux améliorations apportées et au travail manuel de l’artisan.
I – Première ébauche
En août 2019, je me rends dans la grotte de Paulo, au pied du Menez-Hom (le plus haut sommet breton !) pour y forger mon propre couteau. La première ébauche s’inspire amplement du célèbre « Woodlore », designé par Ray Mears, célébrité du bushcraft mondial. Le dessin s’en inspire largement et Paulo pose une grosse paluche sur mon épaule en m’expliquant : « De toutes façons, pour un premier couteau, tu n’auras jamais la lame que tu as dessinée. Autant lui injecter un peu de ta personnalité. »
Après le travail sur papier, c’est une épreuve de bois qui est taillée, sculptée à la forme voulue. L’occasion de se familiariser avec les différent outils de l’atelier et, en particulier, les back-stands. Ces machines entraînant une bande abrasive permettent de modeler la matière, bois ou métal, de donner sa forme à la lame, au manche.
Ce premier couteau, en bois, s’éloigne progressivement du dessin original. Moins effilé, plus costaud. Il est temps de passer au travail du métal. Paulo pêche dans une caisse poussiéreuse un ressort d’amortisseur de camion : « De l’acier 55S7 mangano-siliceux, dit Paulo. L’élasticité et la résilience de cet acier lui permettent d’encaisser beaucoup de contraintes mécaniques. Et comme on va tremper le tranchant, cela augmentera la dureté à cet endroit. ». La forge est mise en marche.
II – Travail de l’acier
L’acier rougeoyant est passé au laminoir sur une épaisseur de 4 millimètres. Il s’agit désormais de former la pointe et de tomber les émoutures. Un travail de force sur l’enclume, l’image modèle du forgeron. Malgré la chauffe, malgré l’acier orange, le métal résiste sous le marteau. Paulo aide à trouver la bonne position : « Mets-toi en garde comme au Krav et bastonne-lui la gueule ! Utilise le rebond pour remonter le marteau et tu n’auras à forcer qu’à la descente. »
Entre chaque chaude, la pointe est formée en plaçant la lame d’acier contre une arête de l’enclume. Un travail de finesse où le moindre coup de travers risque de donner une courbure indésirable. Le tranchant est affiné petit à petit avant passage au back-stand :
« Tu veux une lame scandi ? Demande Paulo. Je vais te faire découvrir l’émouture plate et tu m’en diras des nouvelles.
– Je suis partant, dis-je en toute confiance, mais ça ne va pas plaire aux ayatollahs de l’émouture scandinave en bushcraft.
– Ils prendront leurs gouttes ! On pourra leur faire des vidéos de bâtonnage pour les rassurer. »
La forme de l’objet est donnée au back-stand. Modelées contre la bande abrasive dans un déluge d’étincelles, les courbes se font harmonieuses et la pointe devient épaisse, costaude. « Une pointe épaisse comme ça, ça fait une pointe robuste, dit Paulo. ».
La trempe est une étape spectaculaire. Chauffé au chalumeau, le tranchant change de couleur progressivement. Des cernes incandescents illuminent le matériau, Paulo guette. Il attend la juste nuance qui indique que la température idéale est atteinte. « Quand je te le dis, tu plonges le couteau en entier dans l’huile et tu le baignes avec des mouvements de va-et-viens. »
Lors de l’immersion, l’huile bouillonne, de la vapeur blanche ondule quelques instants juste avant qu’une boule de feu ne s’élève, illuminant l’atelier.
Vient le temps de monter les plaquettes de bois. Pour honorer la discipline, nous choisissons du bouleau qui sera monté au moyen de rivets. La première ébauche est terminée.
III – Transformation d’un couteau de bushcraft
À l’usage, je suis ravi. Le manche ovale et charnu tombe bien en main. Le dos de la lame est mordant et permet de gratter le firesteel avec aisance. La pointe s’y prête particulièrement bien. L’émouture plate ? Un régal pour sculpter des plumeaux longs et fins, le rêve pour allumer un feu. Bâtonner ne pose aucun problème. L’outil passe de main en main au gré des bivouacs, des stages et sorties. Chacun y va de son commentaire et l’ensemble est très positif. Mais, à mon goût, quelques détails peuvent encore être améliorés.
Je manipule mon couteau sans gants, d’où le manche généreux et ovale. Lorsque je me prends à tailler finement, mon pouce vient naturellement se poser à l’extrémité du manche, à la naissance de la lame. Paulo propose de rajouter des stries dans le métal et dans le manche, un repose-pouce cranté qui se révélera très agréable à l’usage.
Je ne suis pas partisan de fixer une dragonne (un couteau lâché qui se balance au bout d’une corde depuis le poignet représente un danger). Néanmoins, je conçois la nécessité, parfois, de disposer d’une attache au niveau du manche. Une cordelette nouée à la base du manche et enserrant le poing de l’utilisateur peut venir améliorer le grip. Un œillet évasé est donc ajouté.
Le cul du couteau peut être bâtonné pour fendre des branches de petit diamètre ou être percuté sur des éléments à dilacérer (écorces, fibres). Nous prévoyons donc un talon métallique cranté qui dépasse tout juste du manche afin d’améliorer la robustesse et d’offrir une nouvelle surface de travail. Cet appendice discret est également trempé pour en augmenter la dureté. Le deuxième prototype est né.
IV – La naissance du couteau de bushcraft « Le Naturaliste » en vidéo
V – Le Naturaliste : un couteau de bushcraft qualitatif et abordable
De nombreuses réflexions sur les matériaux ont agité nos cerveaux. Paulo et moi-même finissons par proposer une version de base :
- Couteau de 24 centimètres
- Lame de 12 centimètres
- Épaisseur de 4 millimètres
- Poids total de 190 grammes
*mesures issues du premier prototype
Les plaquettes que nous choisissons sont en bouleau madré. Matériau élégant de par ses veines, sa couleur et ses reflets dorés. Le bouleau est un arbre vénéré en bushcraft de par ses multiples utilisations, c’est donc un hommage tout naturel.
L’étui qui accompagne le couteau est en cuir brun, format chaussette, tombant. Un choix volontairement modeste pour s’accorder avec l’état d’esprit de la discipline. Loin de la « survie » et de la débauche de matériel, nous souhaitons éviter de tomber dans les multiples accessoires (boucle à firesteel, poche à pierre à aiguiser) qui dénatureraient le style sobre de l’outil.
Le Naturaliste est un outil forgé à la main, fruit du travail d’un artisan reconnu pour la qualité de ses couteaux et travaillant le métal, le bois, le cuir, depuis plus de trente ans. Pour autant, hors de question d’en faire un « couteau œuvre d’art » là où je ne le conçois que comme un outil destiné la pratique du bushcraft, l’art de vivre dans la nature.
Face à la concurrence industrielle pourtant, Le Naturaliste n’a pas à rougir avec un tarif de lancement à 220€ (couteau et étui cuir). Un prix comparable à une certaine marque qui fabrique ses couteaux à lame peinte en noire en série. L’assurance, ici, d’avoir un outil unique avec son brut de forge et un étui cuir travaillé à la main.
L’outil terminé a sa personnalité, son profil propre. En main, c’est régal pour notre pratique et le choix des matériaux est un hommage à la discipline. Néanmoins, nous n’avons aucunement la prétention de fixer ces caractéristiques dans le marbre et d’en faire LE couteau de bushcraft du moment.
Pour cette raison, toute personnalisation reste possible : manche disponible dans d’autres matières, possibilité d’avoir un étui kydex, un cuir différent, épaisseur de la lame, tout est modifiable à l’envie. Moyennant un coût supplémentaire, l’outil peut être personnalisé à la guise de l’acquéreur pour s’adapter à sa pratique et à ses habitudes. Seul le profil de la lame sera immuable, le profil du Naturaliste.
Conclusion
Paulo et moi-même sommes très fiers de proposer « Le Naturaliste », notre vision du couteau de bushcraft. Sobre, discret mais avec ses formes propres, ses lignes bourrues, il représente à la fois l’estime que nous avons pour le monde naturel, la vision du « couteau-outil » que nous nourrissons dans le domaine outdoor et il intègre nos personnalités dans le soucis du détail mais sans tomber dans les fioritures superflues et parfois racoleuses.
Le Naturaliste est disponible sur commande auprès de Paulo Simoes (attendez-vous à des délais de quelques semaines).
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