Longer les rayonnages des librairies est un passe-temps hypnotique. Ces tranches et couvertures d’ouvrages chatoyantes et aguicheuses ne cessent d’attirer le regard. Passez un peu de temps au rayon « Nature » et vous croiserez forcément le chemin du livre : « Comment chier dans les bois » de Kathleen Meyer (« How to Shit in the Woods » dans la langue de Shakespeare). Aussi irrévérencieux et humoristique qu’il soit, ce livre a le mésavantage d’être adapté au biotope Nord-Américain et nombre des plantes décrites ou usages ne sont pas transposables à l’Europe Occidentale. Voyons donc comment nous pouvons au mieux faire nos besoins dans les forêts françaises.
C’est vrai ça ! Quoi de plus naturel que de faire ses besoins dans les bois ? Les animaux le font, nos ancêtres l’ont fait. L’homme moderne a cependant cette tare de tout laisser derrière lui afin d’en faire profiter ses contemporains. Ne parlons même pas d’un soldat par-delà les lignes ennemis, le pratiquant de Bushcraft est sensé ne jamais laisser de traces derrière lui. Afin de coller au plus près à ce précepte, on se propose ici de détailler les différentes façons de faire ses besoins dans la nature tout en limitant l’impact d’une telle pratique qui n’a, bien entendu, pas la même dimension que les décharges sauvages en forêt ou les jets de mégots dans le maquis. Il faudra garder à l’esprit que rejeter notre urine ou nos excréments à proximité de l’eau sera toujours à éviter (pour en savoir plus sur la pollution des eaux, cliquez ici).
I – Une envie pressante : faire pipi en forêt.
Élaborée à partir de la filtration du sang par les reins, notre urine est essentiellement constituée d’eau dans laquelle se retrouvent dissous des sels minéraux et de l’urée. Ce dernier est un composé azoté issus de la dégradation de certaines molécules. L’azote est l’une des substances nécessaires au végétaux pour se développer, il entre dans la composition de la plupart des engrais utilisés en agronomie. L’épandage des engrais de façon industrielle et leur lessivage par les eaux de pluie a mené au développement incontrôlé de certains végétaux aquatiques tels que les lentilles d’eau ou les fameuses algues vertes.
La nature possède des systèmes de purification très efficaces sous la forme de bactéries qui élisent domicile au niveau de la rhizosphère des arbres. Différentes flores bactériennes vont transformer l’urée et autres nitrates et nitrites en engrais ou en azote gazeux qui ira se stocker dans l’atmosphère. On souhaite avant tout éviter le relargage de composés azotés dans l’eau. Autre raison pour ne pas uriner à proximité des cours d’eau : c’est parfois la seule source potable à laquelle on peut avoir accès en milieu sauvage, malgré une purification préalable, il serait désagréable de savoir sa boisson contaminée par l’urine d’autrui.
Ainsi, la meilleure façon de procéder pour l’urine, c’est de la rejeter loin d’un cour d’eau, au pied d’un arbre. Voilà une méthode à mettre en parallèle avec nos latrines modernes où nous urinons et où nous déféquons directement dans de l’eau potable…
II – Comment chier dans les bois : mieux vaut s’y préparer.
Il y a qui se constipent en bivouac, d’autres pour qui le vent frais et matinal dans le sillon inter-fessier constitue une vraie religion. Les résidus non digérés de nos repas mélangés avec quelques déchets du métabolisme tels que la bilirubine (qui colore nos selles) vont constituer nos excréments. Cette matière organique ne demande qu’à se décomposer et à favoriser la multiplication de bactéries, inoffensives dans notre tube digestif, pathogènes lorsqu’elles contaminent de l’eau potable ou de la nourriture.
Pour se prémunir de ces désagréments qui peuvent entraîner de véritables catastrophes sanitaires, on cherchera à enterrer les matières fécales pour qu’elles se dégradent grâce aux micro-organismes du sol.
1 – Préparer le terrain :
La grosse commission est une affaire qui se prépare. Lors d’un bivouac, après avoir déterminé où se trouveront les couchages et le feu de camp, on devra se mettre d’accord sur l’emplacement des toilettes communes. Pour un groupe itinérant, on pourra se contenter de creuser un trou par personne à discrétion de chacun mais pour un camp de plusieurs jours au même endroit, il faudra convenir d’une tranchée profonde de quelques dizaines de centimètres que l’on comblera progressivement selon un sens convenu avec les membres du groupes.
Après avoir déposé ses petites affaires dans un trou suffisamment profond, il faudra reboucher le tout en y déposant également le papier hygiénique qui a été utilisé. Vous avez mal visé ? Utilisez une petite branche pour pousser les éléments mal orientés dans le trou, où vous placerez également ce petit bout de bois souillé.
Il serait de mauvais goût de tomber sur un « paquet » déjà déposé par quelqu’un d’autre, aussi, on pourra discrètement signaler son passage par un petit drapeau : une branche plantée dans le sol et ornée de feuilles empalées. Vos camarades comprendront bien vite qu’il ne faut pas creuser ici !
2 – Le choix de la position :
Loin de notre trône en faïence, il peut être délicat d’adopter un positionnement confortable qui autorise un soulagement en toute propreté. Voici quelques idées pour éviter de salir vos chaussures :
A – Le siège du bûcheron : trouver un tronc couché sur lequel on puisse s’asseoir. Creuser un trou et faire dépasser son popotin du côté idoine. Il peut être nécessaire de se maintenir avec les mains pour être stable.
B – Accroché à l’arbre : Creuser un trou à quelques dizaines de centimètres d’un arbre de faible diamètre. Agripper le tronc avec les mains et se pencher en arrière tout en abaissant les appuis. De loin la préférée de l’auteur !
C – La chaise : Creuser un trou au pied d’un arbre, s’adosser au tronc en descendant sur les appuis jusqu’à ce que les cuisses soient au minimum parallèles au sol. Gros avantage, vous pouvez bouquiner.
D – Le squat : voici de quoi se muscler les cuisses tout en se soulageant. En l’absence d’arbres pour se soutenir, il suffit de creuser un trou dans le sol, de placer les pieds de chaque côté et de descendre sur les appuis. Le poids de votre corps devrait passer dans la plante de vos pieds pour vous assurer une certaine stabilité.
3 – Les papiers toilette naturels :
Concernant le nettoyage de nos belles petites fesses délicates, la méthode la plus pratique consiste à emporter un kit hygiène spécial. Mais comment faire lorsque vous n’avez rien sous la main ? Ne sacrifiez pas ce modeste ouvrage ou votre magazine favori, le papier glacé piquerait trop ! La nature vous offre des solutions en toutes saisons !
A – La feuille de bardane : La bardane pousse dans les sols denses et développe des tubercules comestibles. Ses feuilles peuvent devenir très grandes et sont légèrement râpeuses. Elles se cachent durant l’hiver lorsque les températures chutent fortement mais elles sont abondantes autrement. Il est possible de plier les plus grandes feuilles pour constituer du papier toilette de bonne épaisseur.
B – Les fougères : que ce soient le Polypode, l’osmonde royale ou la fougère aigle, elles possèdent toutes des frondes assez découpées qui les font paraître poreuses. L’astuce consiste à prélever une fronde et à la plier en suivant la nervure centrale, celle-ci est rêche pour notre arrière-train. La fougère aigle a été largement utilisée à ces fins en Bretagne durant des siècles. Point fort : elles sont utilisables toute l’année. Évitez les frondes trop sèches et méfiez-vous des tiques, il faudra peut-être demander à quelqu’un de très intime de vérifier l’absence de ces dernière dans votre sillon inter-fessier !
C – Le bouillon blanc (ou molène) : pour les plus délicats d’entre nous, il s’agit ici d’un véritable trésor de la nature. La feuille de bouillon blanc est charnue, épaisse et divinement douce car couverte de petits poils très souples.
D – La feuille de châtaignier : selon l’auteur, la meilleure feuille pour s’essuyer au monde. Son profil semble avoir été dessiné pour embrasser les courbes les plus intimes et ses nervures à la face inférieure sont suffisamment saillantes pour bien racler sans pour autant se montrer désagréables. Problème, elles sont indisponibles en hiver et cassent assez facilement (superposer plusieurs épaisseurs).
Nous vous déconseillons fortement d’utiliser de la mousse. Testée et désapprouvée. S’y logent de nombreuses petites bestioles pouvant provoquer des réactions urticantes…
III – L’hygiène féminine : quand le bivouac tombe « au mauvais moment ».
Partir à l’aventure est loin d’être l’exclusivité de ces messieurs. Mesdames, vous le savez déjà probablement mais vous n’êtes pas sensée jeter vos garnitures periodiques usagées dans l’eau des toilettes. Non dégradables de la sorte, parfois bourrées de plastiques divers, elles constituent une menace pour l’environnement et pourraient vite boucher les canalisations…
Dans la nature, pas de quartier, elles doivent finir dans un sac poubelle dédié et être jetées avec les ordures ménagères. À la limite, on pourrait considérer que les tampons féminins explicitement indiqués comme étant constitués de coton à 100 % peuvent être enterrés à la manière des excréments mais, dans le doute…
Les coupes menstruelles en silicone devront être régulièrement lavées et ne constituent, de fait, pas forcément une bonne solution en itinérance sans accès à des points d’eau de qualité avec la possibilité d’effectuer un nettoyage hygiénique. Les adeptes pourront donc en emporter plusieurs sur le terrain et stocker les coupes utilisées dans des sacs plastiques en attendant de rentrer à bon port. Ces objets ont la bonne idée d’être réutilisables.
Il en va de même pour les « pisse-debouts » fussent-ils en carton ou en plastique qui doivent être jetés dans des sacs poubelles (certains sont biodégradables). Mesdames, vous aussi ne devez laisser aucune trace !
IV – Un kit hygiène de base
Chacun sa méthode pour faire face à ces instants « salissants ». Dans certaines parties du monde, on préfère utiliser de l’eau, le monde occidental utilisera volontiers du papier à usage unique. Un kit « hygiène » réduit permettra de faire face à des besoins usuels ou à des accidents.
Voici le kit « hygiène » que j’emballe dans un sachet congélation zippé. Ce n’est en aucun cas la meilleure solution, il s’agit juste de la solution que j’ai personnellement sélectionnée :
- Un rouleau de papier toilette : ce papier est biodégradable et sera vite consommé par les micro-organismes du sol avec… nos petites offrandes.
- De l’eau : pour se rincer les mains en cas d’accident.
- Du gel hydro-alcoolique : pour se désinfecter les mains après être allé au petit coin… Comment ça, vous ne vous lavez pas les mains en sortant des toilettes d’habitude ?
- Des mouchoirs : au cas où le papier-toilette aurait pris l’eau mais surtout pour se moucher au petit matin. Les mouchoirs se dégradent moins bien que le papier toilette et devront, le cas échéant, être bien enterrés.
Apprendre à chier dans les bois en vidéo
CONCLUSION
Faire ses besoins dans les bois, quoi de plus bucolique ? Le chant des oiseaux, l’air frais, le sphincter anal qui se détend… Si nous voulons cependant profiter de nos forêts et de nos rivières en toute sérénité, soyons respectueux du milieu naturel et facilitons la dégradation de ces déchets peu ragoûtants. Cela nous évitera à l’avenir de tomber sur des restes nauséabonds en pleine cueillette de champignons.
Post Scriptum :
Cet article a été écrit suite à un flot continu de commentaires de mon entourage à mon égard et ce, depuis plus d’une dizaine d’années. Un cousin, un ami, un collègue me voyait après une après-midi shopping ou le rush des achats de Noël et s’adressait à moi toujours de la même façon. Ce genre de conversation commençait sans faillir par la phrase suivante :
« Je suis allé chez **Un magasin de produits liés à la nature et à la découverte mais qui en réalité vend un peu tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi** et j’ai vu un livre pour toi, je devrais te l’offrir ! »
Ce livre, « Comment chier dans les bois » par Kathleen Meyer, je l’attends toujours ! Mais enfin cher cousin, ami, collègue, épargne-toi une après-midi shopping ou le rush des achats de Noël et essaye de mettre en pratique ce qui est écrit plus haut. Tu m’en diras des nouvelles.