Le drame qui s’est déroulé en août 2020 lors d’un stage de survie (huit personnes intoxiquées, un mort) met en lumière toute la difficulté de différencier certaines ressources comestibles.

Les Apiacées sont une famille de plante contenant de bons comestibles (comme la carotte cultivée et celle dite « sauvage ») et d’autres toxiques (comme l’œnanthe safranée dont il est question).

Attention

Cet article n’a pas pour but de jeter l’opprobre sur qui que ce soit ou de discuter les responsabilités de chacun dans cette tragique affaire.

Il se veut juste être une source simple et accessible pour permettre aux débutants d’identifier sûrement la carotte sauvage (Daucus carota) et donc de la différencier de l’œnanthe safranée (Oenanthe crocata).

NB : Je ne dispose pour l’heure que de photographies de carotte sauvage. J’agrémenterai cet article au gré de mes rencontres avec l’œnanthe safranée.



 

Carotte sauvage et œnanthe, deux milieux de vie différents

Si la carotte sauvage est héliophile (aime l’exposition au soleil), l’oenanthe safranée est hygrophile (aime les milieux humides). À tel point que les anglo-saxons désignent les œnanthes comme « water dropwort ».

La carotte sauvage se trouvera ainsi en milieu ouvert, bien dégagé. Pelouses, friches, clairières baignées de soleil. Daucus carotta est effectivement une plante aimant le soleil et la chaleur. Elle croît sur les sols secs, bien drainés, sablonneux et parfois tassés.

Le type de terrain où se développe la carotte sauvage : des pelouses, friches et terrains dégagés en bordure de chemin. (©Alban Cambe)

À l’inverse, l’œnanthe et, en particulier, l’œnanthe safranée (Oenanthe crocata) affectionne les bords de ruisseaux, les sols frais et gorgés d’eau. On la trouve parfois sur les talus jouxtant fossés ennoyés, elle peut également apprécier l’exposition au soleil.

Le genre de lieux où se plaît l’œnanthe : au bord des ruisseaux, talus humides et sombres. (©Alban Cambe)

Reconnaître la carotte sauvage à ses fleurs et fruits

En botanique, la détermination précise d’une espèce se réalise sur la base des fleurs. Chez les Apiacées, les inflorescences (regroupement de fleurs) sont disposés en ombelles.

Les « fleurs » sont des inflorescences en ombelles

Chez la carotte sauvage, on identifie une ombelle compacte où les fleurs sont regroupées étroitement. Ces dernières sont de couleur blanche et, chez certaines sous-espèces (pas toutes !), on peut trouver une tâche appelée « mouche de la carotte » : c’est un regroupement de fleurs stériles de couleur rose, pourpre, brune voir même noire qui se développe au centre de l’ombelle.

La « mouche de la carotte » est visible, parfois, au centre de l’ombelle. Notez que les fleurs sont toutes contiguës. (©Alban Cambe)

Sous l’ombelle, on remarque une collerette de feuilles réduites, finement divisées. Elle s’implante au niveau de la division des rayons, des sortes de petites tiges portant eux-mêmes les pétioles de chaque fleur.

Sous la fleur, on remarque une collerette de feuilles filiformes. (©Alban Cambe)

Les « fruits » sont des infrutescences en nid

À maturité, les fleurs vont se transformer en graines sèches épineuses (des akènes) pouvant s’accrocher aux vêtements et aux fourrures des animaux. Ces petites graines sont regroupées dans le vestige de l’ombelle qui a tendance à se recroqueviller pour former une corbeille ou un nid d’oiseau.

L’inflorescence forme une corbeille de graines à maturité en forme de nid, la collerette reste en place à la base. (©Alban Cambe)

Il est donc aisé de distinguer la carotte sauvage de ses consœurs sur la seule base de ses fleurs et de ses infrutescences. Néanmoins, ces indicateurs ne sont pas compatibles avec une consommation comme vous pourrez le lire un peu plus loin dans le présent article…

Les parties aériennes de la plante : feuilles et inflorescence (notez une infrutescence en arrière-plan). (©Alban Cambe)

Identifier la carotte sauvage à son appareil végétatif

Si vous avez déjà acheté ou cultivé des carottes, que vous avez eu accès à leurs « fanes », alors, vous savez déjà à quoi ressemblent les feuilles basales de la carotte sauvage.

Des feuilles remarquables

La carotte sauvage se caractérise par des feuilles basales en rosette et des feuilles le long des hampes florales qui sont plus fines, ne formant parfois que des filins aigus. Les feuilles à la base du plant sont finement découpées et présentent à leur face inférieure des poils.

Les feuilles basales sont finement découpées et rappellent les fanes des carottes vendues dans les supermarchés. (©Alban Cambe)
Les feuilles insérées le long des hampes florales sont finement découpées et parfois réduites à véritables filins. (©Alban Cambe)

Souvenez-vous que l’on retrouve une collerette de feuilles réduites à des filins à la base des inflorescences et des infrutescences.

On note également sur les hampes florales de nombreux poils que l’on retrouve aussi, au minimum, à la face inférieure des feuilles basales.

Les « tiges » (ou plutôt les hampes florales) robustes et cannelées de la carotte sauvage portent de nombreux poils. (©Alban Cambe)

Le critère le plus marquant

Autre critère distinctif, lorsque vous récoltez une feuille (à la base de la plante ou le long d’une hampe florale) et que vous la froissez, vous devez sentir une odeur rappelant la carotte. Si cette odeur est absente ou si vous êtes dans l’incapacité de l’identifier, le plant est à rejeter.

L’odeur chez l’œnanthe se rapproche plutôt du fenouil ou du cerfeuil (assez aromatique et même appétant malheureusement). Les feuilles sont plus étalées et fournies, rappelant plutôt le persil.

Le tubercule de la carotte sauvage

La carotte sauvage est une bisannuelle (elle réalise son cycle de vie sur deux années) et fait partie, dans la classification botanique dite « de Raunkiaer » des hémicryptophytes (plantes qui passent la mauvaise saison grâce à leurs organes souterrains et un appareil aérien réduit).

Dans ce type de végétaux, les organes de réserves se vident lors de la floraison et il ne subsiste en fin de deuxième année que les graines qui permettront de former de nouveaux plants l’année suivante. Cela a une implication directe sur la cueillette qui sera abordée plus loin.

Chez la carotte, un tubercule unique

Le tubercule racinaire de la carotte sauvage est unique, longiligne, parfois bifide selon la qualité du sol. Il en émerge des racines latérales plus ou moins grosses. De couleur beige, l’enveloppe extérieure dissimule une chair blanche d’où ne s’écoule aucun liquide à la coupe.

Le tubercule de la carotte sauvage est de couleur beige, sa chair est blanche et il ne s’en écoule aucun liquide coloré. (©Alban Cambe)

En opposition, l’œnanthe safranée présente souvent des tubercules multiples, gros et digités rappelant de petites patates douces. Les anglo-saxons la surnomment « Deadman’s fingers » (les doigts de l’homme mort). À la coupe, on remarque une chair jaunâtre (d’où l’adjectif « safranée ») qui s’oxyde en brun. Signe qu’il vaut mieux passer son chemin.

La plante entière avec un tubercule honorable mais… immangeable. (©Alban Cambe)

La carotte sauvage et l’œnanthe safranée en vidéo

Voici l’épisode 35 du podcast « Nature Aventure Survie » dans lequel j’aborde les différences entre les deux plantes.

Les poils, un bon signal ?

Suite à la malheureuse affaire citée en introduction, nombre de spécialistes autoproclamés en sont allés de leurs proverbes et moyens mnémotechniques. On notera que tous ou presque se réfugient derrière la présence de poils sur la carotte sauvage et l’absence de poils sur l’œnanthe safranée. Ce qui est vrai.

Cependant, on a pu voir fleurir sur les réseaux des formules comme : « S’il y a des poils, c’est l’idéal ! » ou « S’il y a des poils, c’est au poil ! » impliquant que les Apiacées (ou même plus largement les plantes) possédant des poils seraient comestibles là où les individus glabres seraient toxiques.

Gare aux simplifications outrancières !

Il faut, selon l’humble avis de l’auteur, se méfier comme de la peste de ce genre de généralisations. En particulier dès qu’on aborde les questions de toxicité. La carotte porte des poils et pas l’œnanthe, c’est vrai. Mais attention, toutes les Apiacées portant des poils ne sont pas comestibles et inversement, certaines Apiacées glabres ne sont pas toxiques. La preuve avec deux exemples :

La berce du caucase (Heracleum mantegazzianum)

  • porte des poils sur ses tiges. À la coupe, elle exsude une sève claire causant de vives brûlures lors d’une exposition au soleil. Chaque année, des jardiniers se brûlent (parfois gravement) rien qu’en désherbant leur jardin (une petite pensée pour mon ami Sébastien qui en a fait les frais cette année). L’ingestion de la plante provoque ulcérations du tube digestif et diarrhées. Je n’ai pour l’heure trouvé aucune trace de mortalité par ingestion. En revanche, les brûlures cutanées sont suffisantes pour tuer un adulte si elles sont étendues. On peut confondre la Berce du Caucase avec la Grande Berce (Heracleum sphondylium) qui est, elle, comestible.

Le Conopode dénudé (Conopodium majus)

  • est un plant entièrement glabre. Le tubercule sphérique peut atteindre deux à trois centimètres de diamètre. Surnommé « la noisette de terre », c’est un délice à découvrir au printemps dans les terrains acides. Plus de détails dans mon ouvrage « Nature Aventure Survie : guide pratique du Bushcraft« . On aurait également pu citer le fenouil qui pousse en bord de mer…
Le conopode dénudé (dont le feuillage ressemble furieusement à la carotte) ne porte pas de poils mais est une Apiacée comestible. (©Alban Cambe)

Enfin, certains s’aventurent à faire le distinguo entre plante toxique et plante mortelle. La dose fait le poison. Preuve en est du fait divers énoncé en introduction : huit personnes intoxiquées. L’une d’entre elle est décédée après avoir consommé davantage d’œnanthe safranée. Le bilan aurait pu être bien pire.

En discutant avec ma grand-mère, celle-ci m’a narré une anecdote qui remonte aux années 1930. Après avoir fait rentrer une vache dans son champ, elle remarque que l’animal broute de l’oenanthe poussant sur le talus (ce qui, en soi, n’est pas grave). En tirant sur les tiges, elle voit la racine (entière ou en partie ?) venir avec la plante entière dans la gueule de l’animal. Ma grand-mère s’en va au bal. À retour, l’animal est décédé. Fort heureusement, elle ne sera en rien accusée et échappera à une sacrée rouste.

Quand faut-il récolter la carotte sauvage ?

Avez-vous déjà acheté des carottes, au supermarché, avec leurs feuilles ? Oui, probablement. Avez-vous déjà acheté des carottes, n’importe où, avec leurs fleurs ? Jamais.

La carotte (sauvage ou non) est une plante bisannuelle, elle réalise son cycle de vie sur deux ans :

  • La première année : la graine germe, la plante s’enracine et développe des feuilles. Elle accumule le plus de réserves possibles en vue de l’hiver et le tubercule se charge donc d’amidon.
  • La deuxième année : après l’hiver, la plante puise dans ses réserves pour se développer à nouveau. Elle formera de nouvelles feuilles puis des inflorescences et des graines. Le tubercule est peu à peu vidé de son stock d’amidon et en devient ligneux.
Un tubercule récolté au mois de juin, en deuxième année de cycle. Il est dense, ligneux, sec, bref, immangeable… (©Alban Cambe)

Quand récolter et que vérifier ?

Il semble donc incongru de vouloir récolter la carotte sauvage alors qu’elle a fleuri. L’idéal est de chercher un plant de carotte avec des feuilles réduites. Éventuellement quelques bourgeons au ras du sol entre la fin de l’été et la fin de l’hiver.

Le meilleur moment pour récolter la carotte sauvage est en fin de première année ou au tout début du printemps de la seconde année. Et ce, grâce à ses feuilles basales. (©Alban Cambe)

On ne s’improvise pas cueilleur de carottes sans respecter scrupuleusement certains critères de botanique essentiels. Si vous souhaitez vous y frotter, voici une courte checklist pour éviter les confusions, hors période de floraison :

  • Milieu dégagé, prairie bien exposée au soleil
  • Sol plutôt sec, sablonneux
  • Feuilles basales ressemblant à celles de la carotte cultivée
  • Feuilles dégageant une odeur de carotte si froissées
  • Feuilles basales présentant des poils à leur face inférieure

À vos risques et périls

La famille des Apiacées regroupe de nombreuses plantes comestibles (fenouil, panais, conopode…) et d’autres redoutables (ciguë, berce du caucase…). Certaines présentent des parties comestibles et d’autres parties toxiques (exemple du cerfeuil sauvage).

Elles font donc partie des plantes que je n’aborde volontairement pas sur le terrain. Je mets au contraire en garde mes stagiaires contre une confusion si vite réalisée par un œil inexpérimenté. L’objet de cet article était de fournir des clés de détermination pour identifier précisément la carotte sauvage. En espérant vous avoir fourni suffisamment de critères objectifs et simples.

Si d’aventure, vous décidez de tenter l’expérience. Je ne pourrai en aucun cas être tenu responsable d’une méprise. Soyez donc honnête envers vous-même au regard de vos compétences pour éviter toute issue malheureuse.



Bonne journée, bon Bushcraft !

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